Chapitre II
« Ca ne peut plus continuer ainsi ! »
Teruki entra la clef dans la serrure et ouvrit la porte de son appartement à la volée. La faisant claquer bruyamment, il entra dans le hall… en pleurs.
- Mais pourquoi t’es si chiant !? gueula-t-il, à en faire vibrer les murs.
Il laissa son sac s’écraser au sol, et vira ses chaussures d’un coup de talon sans se soucier d’où elles allaient bien pouvoir se fourrer à s’envoler ainsi. Les mains portées à son visage mouillé de larmes, il marcha jusqu’à son petit salon et un canapé, dans lequel il s’écroula aussitôt. Il pleura toute l’eau de son corps durant une bonne dizaine de minutes.
- Face de tarlouze… Face de tarlouze ! Et lui alors ? Il a l’air d’une espèce d’uke celui-là, avec ces froufrous et ces jupes à la con ! J’le déteste…
Tapant du poids sur le cuir de son canapé, il fulminait, mordant son coussin pour étouffer ses sanglots et ses grognements entremêlés.
- J’le déteste, j’le déteste, j’le déteste ! J’te déteste, Bou !
S’arrêtant en plein hurlement, il fixa droit devant lui. Il resta bien quelques secondes ainsi, les yeux vides d’expression, avant qu’il s’effondre à nouveau dans son coussin trempé.
- Mais pourquoi je t’aime autaaant ?
Toc. Toc. Toc.
- Hein ?
Qui pouvait toquer à la porte à cette heure ? Il était à peine dix heures du matin ! Avait-il une visite prévue ? Un rendez-vous oublié ? Teruki se creusait la tête, tandis qu’il se levait pour aller ouvrir.
Toc. Toc. Toc !
- Haaaai, j’arriiive !
- Teruki, vite…
- Miku !?
Ouvrant la porte, il ouvrit de gros yeux rougis en apercevant le vocaliste du groupe. Miku semblait tout aussi peiné que lui, et son regard était figé vers le sol, semblant fuir celui de Teruki. Il se tordait les mains et avait les joues roses, les lèvres pincées, et le visage blême. De toute évidence, Miku était mal à l’aise, et Teruki comprenait aisément pourquoi.
- T’inquiètes pas, je blaguais en parlant de la presse et tout, je…
- Il ne s’agit pas de ça, Teru’…
- De quoi alors ?
- Je… Je peux rentrer ?
Tout d’abord étonné, Teruki se ressaisit et s’écarta, laissant Miku passer le pas de la porte. Les petits pas que faisaient le chanteur l’attrista ; dans quel état se mettait-il, et pour quelle raison cette fois-ci ? Certes, notre cher Teruki avait l’habitude de voir Miku se renfermer sur lui-même à la moindre agression verbale, et de se faire tout petit pour ne pas être vu ou appelé dans un groupe, mais pour qu’il soit aussi triste et intimidé, il devait s’être passé quelque chose de grave. Enfin, grave… Pour Miku, la moindre chose un peu grave devenait dramatique !
Une fois assis, l’invité du batteur se mit à bafouiller.
- Teru’-kun…
- Vas-y, je t’écoute.
- Ce n’est pas si grave que ça, mais…
- Mais ?
- Tu as vu comment se comporte Bou, ces temps-ci ?!
Sa voix était devenu aiguë, hystérique, tout à coup. Teruki, de son côté, pâli à vue d’œil ; on venait de prononcer le nom qu’il aurait préféré ne plus entendre de toute sa vie.
- Oui, j’ai vu.
- Et c’est tout ? C’est tout ce que t’en dis ? « J’ai vu » ? Non, mais réagis !
- Que veux-tu que je fasse ? pleurnicha Teruki à bout de nerfs.
- Gomen… Mais on ne le supporte plus, Kanon et moi, et… Regarde-toi, parler de lui te rend déjà si tendu. Il n’arrête pas de traiter comme une…
- Ca va, ça va ! Ce n’est pas de sa faute si je l’ennuie, non plus.
- Tu l’ennuies ? Comment ça ? Vous vous voyez en dehors du studio ?
Le regard suspicieux que lança Miku à l’égard de Teruki coinça ce dernier.
- Bien sûr que non ! répliqua-t-il sur la défensive. C’est juste que… que… que s’il ne peut pas me sacquer, ce n’est pas de sa faute, mais de la mienne.
- T’as conscience de ce que tu dis ? C’est n’importe quoi, voyons ! Il n’a aucune raison de te traiter de tafiolle…
- Tarlouze.
- C’est pareil ! Pourquoi tu le défends ?
- Je… J’ne sais pas, moi.
Miku soupira, visiblement consterné de cette discussion sans fin. Après un long silence, lourd de pensées sans aucune logique pour chacun des deux membres d’An Cafe, le vocaliste ouvrit la bouche.
- Faudrait peut-être… lui demander de partir.
- Ne dis pas ça !
- Ouvre les yeux, Teru’, gémit Miku. Ce n’est plus possible. Il faut qu’il s’en aille si on ne veut pas devenir fou. On trouvera bien quelqu’un d’autre, il n’a pas tant de talent que ça en plus…
- On peut pas faire ça, y’en a pas deux comme lui.
- Heureusement ! plaisanta Miku.
Teruki releva une mine abattue sur le chanteur excentrique, lui lançant des yeux perdus et incompréhensifs, humides et désolés.
- Teru’… T-T’as pleuré ?
- Laisse tomber, veux-tu ?
D’un revers de la manche, il essuya une petite larme qui avait échappé à sa volonté d’homme. Il se leva brutalement, manquant de faire tomber le cendrier qui se trouvait sur la table basse, et Miku dut le retenir par la main pour ne pas le voir s’enfuir.
- Qu’est-ce qu’il se passe, entre toi et lui ? Vous vous êtes disputés ?
- Je croyais t’avoir dit de ne pas t’en occuper…
- Je sais, mais c’est plus fort que moi ! Dis-le moi, Terukiii !
- Je…
Teru’ se rassit, les poings serrés, les ongles enfoncés dans sa paume sans qu’il ne s’en aperçoive. Le visage fermé, il mâchonna ses mots, à tel point que Miku dut tendre l’oreille.
- Je crois que… je l’aime…
Miku ne réagit pas. Il se redressa légèrement, pour finir le dos contre le dossier moelleux. Avec un soupir, il dit d’une voix cassée :
- Je comprends tout, maintenant.
- Qu’est-ce que tu comprends ? dit Teruki en reniflant comme un morveux.
- Hé bien, pourquoi tu le défends, pourquoi tu te laisses insulter sans rien répondre, pourquoi tu t’inquiètes pour lui malgré tout quand il est en retard…
Teruki se tut, la figure rivée sur son parquet. C’est vrai, il n’était pas très discret. Ca ne l’aurait même pas étonné que Kanon aie des doutes, lui aussi.
- Mais comment peux-tu avoir… des sentiments pour quelqu’un comme lui ?
- Si seulement je le savais, Miku.
- Tu le trouves insupportable aussi, n’est-ce pas ?
- Bien sûr, mais… Je ne sais pas l’expliquer.
- Bizarre.
Teruki releva le visage, le regard interrogateur et épuisé.
- Je devrais y aller, bafouilla Miku soudainement.
- Déjà ?
- Hai, gomen, Teru’-kun.
- J’en ai marre d’être seul, tu sais ?
Miku regarda le batteur, et eut pitié pendant un instant. Teru’ semblait fatigué, avec ces cernes, ces yeux rouges et humides, cette pâleur lunaire parsemant ses joues et cette bouche, toujours tirée vers le bas. Cette bouche… Miku prit Teruki dans ses bras, se mettant à lui caresser les cheveux. C’était venu sans qu’il ne le veuille vraiment, une sorte d’instinct et de compassion qui le poussait à consoler son ami. Teru’ finit par succomber et de légers sanglots vinrent secouer sa poitrine, inondant à nouveau son joli minois de larmes amères.
- Voyons, Terukiii… Ne te mets dans cet état pour ce type.
- J’y arrive pas… Ca fait des mois que j’essaie, mais j’y arrive pas !
Le batteur leva sa frimousse vers Miku. Ils étaient si proches que ce dernier rougit brusquement. Pourquoi Teruki s’approchait ? K’so, c’était quoi ce bordel ? Il le prenait pour Bou ou quoi ?
- T… Teru’, mais arrête ! lui fit-il en retirant ses lèvres de celles du batteur.
- Ah.
Teruki s’écarta violemment, et manqua à nouveau de se prendre la table basse en verre. Miku se releva sèchement et se dirigea d’un pas précipité vers la sortie. Teruki ne tenta pas de le retenir et il entendit la porte se fermer bruyamment. Soupirant, ne sachant vraiment pas quoi faire, il décida de prendre un bain avant de dîner.